chez Marc Seriau/paddock-gp
Après une évaluation de l’aspect technique de cette période d’avant-saison (en première partie de l’interview), Hervé Poncharal a mis en lumière le travail réalisé par l’équipe d’usine GASGAS lors des trois jours d’essais MotoGP à Sepang. Le patron expert de Tech3 a ensuite souligné l’excellent feeling qu’il avait trouvé en début de saison, alimentant ainsi une passion qui s’était enflammée il y a longtemps. La deuxième partie de l’entretien.
Hervé Poncharal, parlons des essais de Sepang. Êtes-vous satisfait des performances de l’expérimenté Pol Espargaro et du rookie Augusto Fernandez ?
Je me suis promis de ne plus faire de déclarations pour ne pas enflammer les réseaux sociaux, mais je peux vous dire mon ressenti. Certes les grands patrons de Pierer Mobility, Stefan Pierer et Hubert Trunkenpolz, auraient préféré voir le meilleur de leurs pilotes en P1, P2, P5. Au lieu de cela, Pol Espargaro a fermé en P13. Pour le moment, nous voyons la même situation qu’en 2022, avec deux fabricants italiens qui fonctionnent très bien. Il faut donc continuer à travailler et progresser. Nous avions également un certain nombre de choses à tester, tant au niveau du châssis qu’au niveau du moteur, de l’électronique, etc., que nous n’avions pas eues les années précédentes. Jamais! Un travail incroyable réalisé pendant l’intersaison par toutes les personnes impliquées dans le MotoGP chez Pierer Mobility.
Tests difficiles
La météo n’était pas géniale et nous avons eu moins de temps de piste que prévu pour les essais. Je ne dis pas cela pour trouver des excuses, mais le classement reflète le contre-la-montre, c’est-à-dire une situation de qualification. Mais avec Jack Miller, Brad Binder ou Pol Espargaró, on s’est davantage concentré à essayer de revoir tout ce qu’il y avait à essayer. Par exemple, concernant l’aérodynamisme, nous avions deux versions, compte tenu des travaux du Red Bull Technology Center et de ceux du groupe Pierer Mobility. Nous avons donc pu tester beaucoup de choses avant de comparer les informations et donc d’avoir un avis majoritaire pour les quatre coureurs. Par exemple, nous ne créerons pas quatre aérodynamiques différentes pour les quatre pilotes, ou quatre spécifications de moteur différentes. Nous nous sommes davantage concentrés sur ce dont nous avons parlé précédemment, pour pouvoir dire dimanche soir « C’est le vélo que nous pensons être le plus efficace aujourd’hui ». Mais cela indique que beaucoup ont été faits tours sans forcément chercher le temps. Dimanche après-midi, l’équipe technique de Pol lui avait demandé s’il voulait chausser un train de pneus neufs pour tenter un contre-la-montre. Mais il a répondu « Non, il est 16h30, j’ai fait ce que j’avais à faire et si vous sortez pour améliorer d’une demi-seconde ou quoi que ce soit, je pourrais détruire la moto. Je suis en forme et nous avons fait le travail que nous voulions faire avec les ingénieurs. Maintenant je prends l’avion et je rentre chez moi, à bientôt à Portimão”. C’est la réaction de quelqu’un qui se sent bien dans sa peau, qui est assez confiant, qui a le sentiment d’avoir fait son travail et qui a évidemment de l’expérience.
Une nouvelle année pour Tech3
Nous avons eu une année magique en 2020 : nous avons remporté deux courses, notre première en tant qu’équipe MotoGP, et nous étions extrêmement heureux. 2021 et 2022 par contre ont été des années difficiles et je ne veux même pas en parler. Je pense que l’équipe a toujours été professionnelle et engagée à 100% dans sa mission. Je n’en dirai pas plus mais j’ai lu beaucoup de choses qui m’ont touché, pas moi personnellement parce que je suis blindé, mais ça m’a touché parce que ça concernait des gens qui étaient impliqués à 120%. Des gens qui ont donné tout leur temps, leur cœur, leur âme, leur motivation et leur savoir-faire. Mais je n’ai rien dit.
Aujourd’hui ce qui me fait plaisir c’est qu’il y a une nouvelle structure qui s’appelle GASGAS Factory Racing Tech3. Nous avons rencontré Pol Espargaro, qui vient de quitter Honda et qui était auparavant chez Factory KTM, ainsi que son chef mécanicien qui s’appelle Paul Trevathan. On a Augusto Fernandez, un rookie : même s’il y a eu beaucoup de travail à Sepang, il y avait une ambiance incroyable lors des essais. Depuis leur retour, Pol Espargaro et Paul Trevathan m’ont envoyé de nombreux messages de remerciements pour l’implication, pour le niveau de travail de l’équipe, pour cette ambiance la plus humaine possible. C’est sûr que c’est très sympa !
Poncharal : « La fine frontière entre le héros et le zéro »
Je me souviens de 1994 : nous n’avons pas obtenu un seul point en 250cc de toute l’année et nous avons vite fait l’objet de critiques. Quelques mois plus tard, avec la même moto qui avait alors un an, la même équipe, mais avec un nouveau pilote nommé Olivier Jacque, nous étions des génies et la meilleure équipe du paddock. Aux personnes qui sont venues me voir pour me le dire, j’ai répondu ainsi : « Nous n’étions pas des méchants et nous ne sommes pas des héros ». Il y a une frontière très fine entre le héros et le zéro, et certaines personnes, qu’elles soient journalistes, commentateurs ou même parfois acteurs, feraient bien de réfléchir et de se rincer la bouche avant de dire des choses qui font mal. Des gens qui voient tout en noir et blanc et qui tirent sur ceux qui ont un peu de mal à tirer des conclusions hâtives et des jugements hâtifs sans connaître la moitié de la vérité. C’est un peu comme le monde moderne, où l’on est au sommet de l’Olympe puis cloué au pilori sans vraiment comprendre pourquoi. Il faut l’accepter et je l’accepte, mais certains dictons me viennent massivement à l’esprit. Donc, les compliments qui ont été adressés à l’équipe après les tests de Sepang me rendent très heureux, en particulier pour toutes les personnes qui travaillent dur pour donner le meilleur aux pilotes.
L’engagement de KTM
J’étais aussi content que Pol Espargaró soit venu nous rendre visite fin janvier à Bormes-les-Mimosas avec Paul Trevathan. Cela n’a jamais été fait avant la saison, jamais ! C’était juste pour mieux se connaître, pour passer deux jours ensemble, et j’ai trouvé ça génial. Nous verrons ce qui se passera sur la piste plus tard, mais notre travail, c’est aussi coexister, travailler ensemble et se donner à fond. Le coureur fait de son mieux avec la certitude que son équipe technique croit en lui, le soutient et lui offre le meilleur matériel possible pour qu’il fasse de son mieux. N’oublions pas non plus que chez Pierer Mobility nous avons des entrepreneurs qui investissent des sommes très importantes dans des appels d’offres. Même si leur moto n’est pas la meilleure, l’engagement doit quand même être reconnu et apprécié : ils ne sont pas obligés et ils pourraient aussi mener différentes opérations marketing, comme dans le cas de Suzuki. Au lieu de cela, ils nous donnent l’opportunité de vivre notre passion comme de vrais acteurs.
L’ambiance dans l’équipe
Une autre chose qui m’a rendu heureux était de revenir de Sepang. J’ai réuni toute l’équipe pour leur dire ce que m’avaient dit Pit Beirer, Pol et Paul, qui m’avaient fait d’énormes compliments après les essais en Malaisie. Eux aussi avaient lu certaines choses dans la presse et cela les rendait vraiment heureux. J’aime cette ambiance : quand tu rentres dans le garage et que tu souris, quand le chauffeur tape dans les mains de tout le monde et ressort avec une ou deux conneries. Qu’est-ce qu’il mange le soir avec son équipe en disant en plaisantant « Demain, nous les réparerons tous ! » . Pol a déjà proposé d’être ensemble pendant les week-ends du GP à l’étranger.
Si le Continental Circus n’existe plus vraiment, garder une certaine forme d’esprit de cette époque, c’est bien. Le fait que Nicolas Goyon commence à assumer le rôle de team manager est positif : cela m’aide à prendre du recul et à être plus ouvert aux relations humaines avec les coureurs et l’équipe. J’ai un bon feeling, j’aime ça, tout comme le fait qu’on est GASGAS Factory Racing et qu’on a quelqu’un de l’usine dans le garage qui voit comment ça se passe chez nous, et qui crédibilise la qualité et la quantité de travail effectué dans Tech3. Les garçons le méritent.
Hervé Poncharal, on apprend que vous attendez particulièrement le début de saison avec impatience. Depuis combien d’années êtes-vous manager d’équipe ?
Bonne question! Je ne sais pas. Je suis en compétition depuis 1979, d’abord en tant qu’ami des cavaliers, notamment avec Marc Fontan. J’ai commencé à travailler chez Honda France en 1983, mais j’avais déjà suivi plusieurs GP avec Marc Fontan. En 1984, les deux disciplines principales étaient l’Endurance et le Dakar chez Honda, mais j’ai suivi Raymond Roche dans plusieurs épreuves lorsqu’il avait le trois cylindres. HRC a sorti la RS 250cc Compé-Client en 1985 et j’ai couru la majeure partie de la saison mais je ne suis devenu manager d’un GP qu’en 1986. Chez Honda France nous avions un NSR après le titre de champion du monde de Freddie Spencer en 1985 A l’époque il n’y avait qu’une seule usine moto, mais l’année suivante, Honda a décidé d’en construire d’autres à louer à des équipes privées. Ils ont été les premiers à le faire, Honda France en a alors loué un et a créé le département Grand Prix dont je suis devenu responsable. Ma première saison complète en tant que Team Manager remonte donc à 1986, et depuis je n’ai jamais arrêté ni raté un seul Grand Prix ! Cela fait donc 37 saisons complètes, sans compter le reste. Merde, c’est long ! (rire)
Crédit photo : motogp.com
L’article original sur paddock-gp